Taxer les banques ?
A Davos, Nicolas Sarkozy vient d’appeler à nouveau à « moraliser » le capitalisme. Je n’ai jamais réellement compris ce que la morale pouvait bien avoir à y faire. Soit il existe une notion commune de ce qui est acceptable ou, pour reprendre une catégorie plus britannique, décent, avec les garde-fous qui permettent de bloquer les comportements déviants, soit chacun est libre de faire ce qu’il veut et les exaspérations sont inefficaces.
On dit beaucoup en ce moment que les financiers n’ont rien appris de la crise. C’est faire gravement insulte à leur intelligence ; ils ont au contraire parfaitement intégré qu’ils pouvaient se goinfrer sans se soucier des conséquences qui ne les affecteront pas personnellement. Nous sommes à l’heure actuelle dans un système où l’Etat garantit la solvabilité des établissements financiers, sans rien demander en échange. Ce n’est pas tenable, et on peut imaginer deux grands types de solutions.
Réguler effectivement
La finance est une activité très régulée, à un petit détail près : les institutions qui sont censées surveiller sont bien trop petites pour suivre l’activité des banques de manière efficace. Circonstance aggravante, elles sont peuplées de gens qui ne sont pas « à la page » et n’ont pas la mesure des dernières innovations financières. Ce qui pose une question de principe : est-il seulement possible de fliquer efficacement les acteurs sur les marchés financiers ? La réponse est oui, et on le voit paradoxalement avec l’affaire Kerviel.
Le service interne de la société générale, les superviseurs de Jérôme Kerviel, avaient apparemment tous les éléments pour contrôler l’activité de ce dernier. Ils disent n’avoir été au courant de rien, Kerviel soutient avoir fait des rapports permanents à ses supérieurs. Le simple fait que les superviseurs du DAXX allemand annoncent avoir informé la SG de prises de position très fortes de la part de Kerviel et que cette dernière ait opposé une fin de non-recevoir laisse percevoir de quel côté penche la vérité. Les contrôleurs de la SG avaient sans doute une assez bonne image de l’activité réelle de son trader, mais n’avaient aucune raison d’y mettre fin puisqu’il rapportait de l’argent. Le régulateur officiel, au contraire, n’avait pas réellement la possibilité de surveiller les trains.
D’où la première idée : donner au régulateur l’équipe de surveillance de la société générale. Pour cela, il suffit que l’autorité de régulation puisse recruter un nombre suffisamment élevé de gens à jour, c’est-à-dire une grosse équipe de traders. Bien entendu, il est nécessaire de les payer au prix du marché, c’est-à-dire cher. Donc le budget de l’autorité, extrêmement important, doit être supporté par les banques, via une contribution spéciale. Gordon Brown, notamment c’est récemment engagé sur cette voie. Il va sans dire que les annonces de Mme Lagarde dans le même sens sont assez ridicules en termes de budget.
Faire participer les banques à leur assurance tout risque
L’idée sous-jacente est extrêmement simple à saisir : les banques viennent de coûter beaucoup d’argent au contribuable ; si elles sont rentables il serait de bon ton qu’elles contribuent spécialement. La première chose qui vient à l’esprit est une taxe supplémentaire sur les bénéfices. C’est ce que vient d’annoncer Barack Obama, pour 90 milliards de dollars en dix ans et qui va peut être va peut être advenir en France (mais pour moins et juste pour un an, faut pas déconner). La banque centrale européenne pousse également à la roue dans ce sens.
Ce type de taxe a néanmoins un inconvénient : elle n’est politiquement pas très sanctuarisée, et le prochain gouvernement en faveur de la liberté d’entreprendre peut fort bien la raboter plus ou moins violemment, et à des intervalles assez réguliers.
Un second dispositif beaucoup plus intéressant est proposé par Jacques Delpla : en pratique, l’Etat garantit les dépôts bancaires contre le risque de faillite. Appliquons donc la logique de la concurrence et le droit des aides d’Etat chers à Bruxelles : si les banques bénéficient d’une assurance, qu’elles la paient au prix du marché ! Quel est-il ce prix du marché ? Il se trouve que lorsqu’une banque dispose de liquidités qu’elle ne souhaite pas investir, elle les place auprès de la BCE avec la certitude de les retrouver le lendemain. Ce dépôt est rémunéré environ 1% en dessous du taux de refinancement que la BCE offre aux banques. Delpla propose donc fixer une taxe à un peu en dessous du taux de facilité de dépôt (pour tenir compte du coût de gestion de la liquidité par les banques) soit en moyenne une taxe de 1 à 1,5% qui rapporterait en France entre 12 et 18 milliards d’euros par an. Un des intérêts de c mécanisme est qu’il est contra cyclique, puisque le taux est quasi-nul en période de crise, et élevé dans les périodes d’expansion financière.
La fin de son raisonnement est un peu difficile à suivre : le prix de la sécurité n’est pas le taux de facilité de dépôt en lui-même, mais la différence avec le taux de refinancement. Le taux de refinancement est le taux directeur qui définit la rentabilité globale du système financier et l’écart avec le taux de facilité de dépôt, plus faible, indique une prime de risque en moyenne de l’ordre de 1%. On s’attend au contraire à ce que le coût d’une assurance soit pro cyclique : en période d’expansion, le risque semble faible mais il est beaucoup plus important en période de crise.
Pour le reste, je partage entièrement son analyse, notamment sur un point crucial : cette ressource de long terme n’est pas délocalisable. La taxe porte non pas sur les bénéfices, mais sur la masse des fonds collectés sur le territoire national. Les sièges sociaux des banques peuvent bien déménager, les dépôts continueront d’être soumis à l’impôt. La taxe serait payée mensuellement, en fonction du taux régulièrement révisé.
Dominique Strauss Kahn a annoncé que le FMI travaillait sur un modèle de taxe pour les banques. Il semble qu’il envisage un système légèrement différent, mais pas incompatible avec l’approche décrite ci-dessus, puisque le montant de l’impôt varierait en fonction des risques pris par les banques. Chaque banque étant libre dans le système Bâle II de définir et de mettre en œuvre son propre profil de risque financier il paraîtrait effectivement un peu étonnant que la « prime d’assurance » soit identique pour toutes. Les institutions qui choisissent de prendre plus de risques devraient payer une taxe plus élevée car les risques qu’ils courent, la collectivité les court également pour partie.
Côté moins : ça nécessite que le « profil de risque » des banques soit bien calculé. Côté plus, c’est l’inspiration sur laquelle se construit la future architecture prudentielle dite Bâle 3, qui doit ramener dans les bilans tous les risques dissimulés sous les tapis. On ne pourra plus lessiver ses bilans avec les SIV. En particulier, cela permet de toucher d’avantage les banques d’affaires, qui collectent peu de dépôt et prennent plus de risques.