Sans le latin, sans le latin
Encore un débat bien français. La maîtrise par une partie des élèves français des fondamentaux est désormais plus qu’en question ? Pouah ! Trivial. Tranchons plutôt un véritable enjeu de civilisation : l’apprentissage du latin.
Bien sur, ce n’est pas le fonds de la réforme du collège, mais moi aussi j’ai le droit de raconter n’importe quoi. Et ceci sur deux axes de réflexion : les mérites supposés du latin et le rôle de son enseignement aujourd’hui.
Abracadabra
A entendre les laudateurs grec et du latin, ces langues sont indispensables au bon développement intellectuel des élèves. Peu directement employées dans le monde moderne, elles apporteraient un supplément d’âme que les vils utilitaristes capitalistes ne savent pas apprécier.
Ah bon. Mais pourquoi donc ? J’ai fait du latin et du grec sans avoir senti une poussée cervicale dans mes thèmes laborieux, ni une libération de mon esprit à déchiffrer mes premières versions. Harry Potter lance bien ses sorts en latin, mais c’est un peu la limite de la magie. Revue de trois types d’arguments, tout aussi bidons, sur la supériorité imaginaire du latin.
D’abord, c’est un excellent exercice intellectuel. Il y’a plein de déclinaisons et de conjugaisons, l’ordre des mots n’est pas le même, les tournures de phrases sont différentes, que de délices ! Rajoutons avec le grec une écriture différente et l’aoriste et on a le top. Les gens formés à cette école auront toujours une agilité intellectuelle, un esprit délié, tout ce qui va bien. Mais bon, ça vaut pour les maths aussi, ou la physique, ou le klingon, ou les échecs.
Ensuite, le français étant une langue romane, c’est un moyen de mieux comprendre notre idiome dont beaucoup de constructions sont des survivances. Moui. C’est un peu ambitieux compte tenu du nombre de collégiens en forte difficulté d’expression, dont les problèmes vont au-delà de la compréhension fine des origines de certains points d’orthographe ou de grammaire. Personnellement j’en retire que la plupart des con- sont en fait des cum, et le grec m’a bien armé pour comprendre les neutres collectifs en anglais. Je suis également devenu un champion du « μὲν .. δὲ ». Donc ça ne m’a pas apporté grand’chose. J’ai lu en revanche (et je ne retrouve pas où), une très bonne proposition sur une familiarisation obligatoire avec le latin des professeurs de français
Le meilleur pour la fin et historiquement le plus vrai : le latin et le grec sont la clé d’accès à des siècles de pensée exprimées dans ces langues. Seule la maîtrise de ces langues permet de saisir les nuances que l’auteur a souhaité exprimer. C’est très vrai, c’est très beau, c’est totalement hors-sol. Combien d’élèves peinent à saisir ces jeux de pensée dans leur propre langue ? Surtout, mes premiers contacts avec les aventures de Septimus tenaient plus du « Anna macht yoga » et « Brian is in the kitchen » que d’une prise de langue avec Sénèque. Il faut longtemps pour une véritable aisance, et après deux ans à anonner mes conjugaisons je lis aujourd’hui Sénèque en français.
Langues mortes, enseignement fossile
Intrinsèquement, le latin n’a donc rien d’extraordinaire. Pourquoi alors est-il à ce point défendu comme essentiel, comme vital, par une foultitude de gens qui seraient incapables d’en lire trois lignes ?
Parce qu’historiquement, il était la langue des sachants. L’antiquité s’exprimait en latin (et en grec), puis le moyen-âge et la renaissance. C’est la langue du droit, putain ! Et nous traînons cette histoire longtemps après que le latin a été supplanté comme langue d’échange par le français et l’anglais. Il y a un siècle, on attendait encore des bacheliers de beaux thèmes et de belles versions, et tant qu’à faire des dissertations latines.
Le successeur naturel de cet enseignement devrait être l’anglais, lingua franca actuelle ouvrant à la culture du monde et à sa réflexion philosophique et scientifique. Voir dans les mangas la classe absolue et immédiate de ceux qui parlent cette langue. Mais rendre l’anglais obligatoire, quelle horreur ! Un asservissement à Disney et Hollywood !
Le prestige historique du latin est resté un signe de distinction sans plus d’intérêt technique, mais qui permet de sélectionner une élite. Les mathématiques jouent à présent ce rôle sans beaucoup plus de justification pour leur impérialisme, et la banque anglaise des années 70 a pu sans dommage être dirigée par des gens ayant étudié le latin et le grec à la fac, filière d’excellence de l’époque.
La défense acharnée du latin obligatoire ne relève donc pas de ses propriétés miraculeuses, mais de la préservation d’une image suranée de l’excellence académique, liée – faut-il le dire ? – à une certaine classe sociale. Dans un imaginaire où les pouilleux partent en apprentissage à seize ans et les enfants du seize font du latin et de l’allemand, les anges ont bien un sexe.