La social-démocratie, part des anges de la gauche française

La gauche semble aujourd’hui durablement éloignée du pouvoir. La Nupes devait marquer la renaissance pour solde de l’ère Hollande, elle culmine à 27% des voix et confirme la défaite stratégique de la gauche en 2017. En unifiant les candidatures, elle permet d’améliorer le rendement en élus de l’opération électorale mais pas d’attirer pas les électeurs ; elle est d’ailleurs en recul du total des voix de gauche aux présidentielles ce que confirment depuis sondages et élections partielles.

Il faut donc prendre conscience de l’impasse existentielle que constitue la Nupes pour la gauche. Elle a retrouvé une voix, mais plus elle l’exerce moins les électeurs votent pour elle. On a suffisamment peu compris ce que signifie l’arrivée des députés d’extrême-droite au Parlement : dans les duels entre LFI et RN, les citoyens – pas les appareils politiques – ont jugé les premiers plus repoussoirs. C’est à dire que les citoyens considèrent l’arrivée de la Nupes au pouvoir comme plus dangereuse qu’une collection de néo-nazis dans un parti dont le seul programme est la haine des étrangers.

Où sont nos électeurs ? Le quinquennat écoulé a vu nos appareils dériver sur la foi de deux mythes, qui seraient un dégoût des sympathisants après l’expérience Hollande et le dépassement de la social-démocratie. C’est sur ces deux thèses que s’articule la stratégie de la gauche depuis cinq ans. Sans succès. Ce n’est pas surprenant, car elles sont toutes deux fausses.

L’histoire qui nous est racontée s’écrit ainsi. François Hollande ayant mené une politique de droite et trahi les électeurs de gauche, ceux-ci se sont détournés de nous. Manuel Valls ne serait pas distinguable d’Emmanuel Macron, que ce soit en matière sociale ou de sécurité. Les deux crimes de l’ère Hollande sont ainsi la déchéance de nationalité -non adoptée – et la loi travail, coécrite avec la CFDT et si peu macroniste qu’il l’a remplacée dans les premiers mois de son mandat.

Cette déchéance de la gauche de gouvernement était d’ailleurs inévitable, car le projet politique de la social-démocratie est dépassé. La sécurité sociale est désormais établie aux limites historiques que peut supporter le système économique et cette famille de pensée n’a donc plus rien de neuf à proposer. Comme hier le radicalisme, la social-démocratie doit donc s’évanouir au profit de nouvelles forces de progrès qu’il faut soutenir et rejoindre.

Cinq ans après, comment se portent ces thèses ? Dans les discours, fort bien. Dans les faits, fort mal.

On observera d’abord que dans les familles de la gauche, toutes ou presque font des scores normaux au regard des quarante dernières années. Si l’on coupe la poire en deux du score de Benoît Hamon, candidat commun des socialistes et des écologistes, les Verts réalisent aux scrutins nationaux de 2017 et 2022 entre 3 et 5% des voix. Les radicaux, si l’on cumule PCF, trotskystes et insoumis, sont 10 points au dessus de leurs habitude, mais il s’agit d’un effet d’optique lié à l’effet vote utile. Rappelons qu’à trois mois des présidentielles, Jean-Luc Mélenchon plafonnait à 10% dans les sondages et que depuis les législatives leur potentiel dans les sondages semble revenir à leur étiage normal. Les radicaux de gauche, enfin, sont dans leur épure quand il est possible de les mesurer.

Une exception : les socialistes. Naguère entre 15 et 25%, les voici réduits de 1,5% à 6%. La chute de la gauche se résume donc à un parti et c’est l’éléphant dans la pièce qu’il faut cesser d’ignorer. Ce point central doit au contraire guider toute notre analyse.

Le bilan de santé normal mais pas exceptionnel de la gauche non socialiste offre un premier démenti à l’une des deux thèses : le dépassement de la social-démocratie au profit d’une autre force. On a théorisé la montée du paradigme vert, à l’international et aux élections locales. La réalité est une absence flagrante de progression. Les victoires locales tiennent d’abord à la mauvaise santé des socialistes. La société civile organisée peine à exister, comme toujours. Et les tenants du grand soir, autour de Podemos, le Mouvement 5 étoiles ou les Insoumis ne sont finalement pas au rendez-vous. Quand les électeurs les ont vu de trop près, le consensus s’établit contre eux. Sauf à considérer le macronisme comme un progressisme clair, et on va y revenir, aucun mouvement politique existant ou de la société civile ne prend le relai à gauche du parti socialiste. Ils avaient pourtant le champ libre.

A l’inverse, en Espagne, au Portugal, en Italie, en Allemagne, dans les pays du Nord, la social-démocratie a retrouvé le chemin du pouvoir. En Grèce même, elle ressuscite. La disparition des socialistes est une particularité française plutôt qu’une nécessité historique.

Le second démenti est celui d’une répudiation pour droitisation hollandaise. Car enfin, où sont passé les électeurs socialistes ? S’ils ne se sont pas reportés sur de la « vraie gauche », c’est qu’ils ont rejoint Emmanuel Macron ou qu’ils s’abstiennent. Autant dire qu’ils ne sont pas rebutés par un social-libéralisme présumé ni nostalgiques d’un retour aux fondamentaux des années 1970. Ceci se mesure plus encore au premier tour de 2022, la moitié des électeurs de François Hollande ayant confirmé leur vote Macron alors que son ambiguïté initiale s’est évanouie. Lorsqu’on regarde la décomposition des électorats, il se confirme qu’une part substantielle des sympathisants LREM continue à se définir à gauche. Mais ils se refusent à voter pour une gauche qu’ils jugent éloignée de la culture de gouvernement.

Par conséquent, la rupture sans bénéfice d’inventaire avec l’expérience Hollande – Mélenchon nous invite à pousser jusqu’à 1983 – ne peut être un talisman pour retrouver les anciens électeurs socialistes. En donnant des gages idéologiques, le PS peut retrouver une part d’estime auprès de ceux qui ne mettront de toutes manières pas son bulletin dans l’urne. Mais à cultiver un retour à la « vraie gauche », le parti socialiste consolide surtout son manque total d’attraction pour ses électeurs historiques.

La réalité est qu’il existe deux gauches, l’une qui a pour reflexe de renverser les tables et l’autre de les occuper. Loin d’être irréconciliables, elles arrivent au pouvoir lorsqu’elles combinent leurs forces. Or si la première gauche est en bonne santé, la seconde s’est évanouie. Elle est la part des anges du progressisme français.

Le rôle du parti socialiste, s’il souhaite contribuer à une victoire globale de la gauche, ne peut être de s’arrimer à la première gauche, de se greffer sur ce qui se porte moins mal, mais bien de remettre à flot la seconde.

Les questions de fond à se poser sont simples : quel chemin de progrès social est réaliste ? Que pouvons-nous promettre que nous pourrions raisonnablement tenir au pouvoir ? Sans balayer notre passé ni chercher à rejouer le match, que pouvons nous reprendre ou refuser des expériences Hollande voire même Macron, que nos propres électeurs ont globalement validées en élisant par deux fois le second ? Comment retisser les liens avec les galaxies de la société civile qui alimentaient le débat interne par capillarité, à l’époque où le parti socialiste était le lieu de la conquête du pouvoir ? A terme, quelle est notre vision de la société vers laquelle nous cherchons à tendre ? Quelle sécurité sociale, au-delà des bricolages du moment ? Quel espace de liberté ? Quel système productif ?

Et sur cette base uniquement, il sera possible de définir une stratégie d’union de la gauche qui soit crédible. Les socialistes ont toujours le loisir de passer des accords hors sol avec telle ou telle formation, mais aucun pouvoir de contraindre nos électeurs à les suivre. Une union de la gauche dans laquelle les socialistes ne disposent ni de leur puissance propre, ni de leurs propres idées est une union stérile. Tout au plus, elle assure quelques recasages. Il est piquant de prétendre que l’union de la gauche s’impose aux socialistes, comme s’ils en étaient pas les grands organisateurs depuis les années 70. Ce sont les socialistes qui vont chercher les autres partis, qui payent le prix de l’union en incorporant des idées et des personnes au-delà de ce que les scores électoraux demanderaient. L’union de la gauche n’est pas une sorte de principe vital produisant ses fruits de quelque manière qu’on la réalise, mais une pratique mettant en ordre de conquête l’ensemble des forces progressiste. Aujourd’hui, la réapparition du parti socialiste est un préalable à l’union de la gauche, pas une alternative.

Enfin une incarnation. Comme le disait hier Michel Rocard, les idées marchent sur deux jambes. La recherche de personnalités doit débuter le plus en amont possible de l’élection afin de pouvoir jauger leurs forces et leurs faiblesses avant leur désignation. L’effondrement de l’hypothèse Taubira au lendemain de sa désignation par la primaire populaire doit être une mise en garde. Il faut donc commencer à repérer les personnalités susceptibles de monter aux présidentielles ou comme ministres, au sein du PS ou dans le monde associatif, et organiser leur visibilité.

Faute d’engager ces chantiers, la gauche demeurera confortablement minoritaire.

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