Delenda sacerdotes
Athée, je n’aime guère les curés. C’est un tranchant de mon esprit que je tiens toujours vif, l’entretenant régulièrement des fois que, ça peut servir. Ma cible préférée, ce sont bien entendu nos bons curés chrétiens. D’abord pour le confort de la tradition et puis aussi parce qu’ils me déçoivent rarement. Ceci me vaut fréquemment des accusations venant de courageux résistants planqués derrière leur clavier et qui, eux, se dressent devant l’islamisme alors que moi, hein ? J’ose pas ! Si d’abord, j’ose.
Du coup, ayant croisé au hasard du Net le titre du livre de Pierre Tévanian, « La haine de la religion ; comment l’athéisme est devenu l’opium du peuple de gauche », je me suis jeté dessus avec quelque gourmandise. Sa thèse, très simple et que je partage en grande partie, tient en quelques mots : la priorité au combat contre la religion a été historiquement le projet de la classe politique bourgeoise alors que tous les grands auteurs (Marx, Engels, Lénine, Trotsky, Luxembourg) ont toujours considéré que dans la lutte des classes la solidarité entre prolétaires doit primer sur celle entre athées. D’ailleurs, rien de mieux que l’expérience révolutionnaire pour défaire naturellement les travailleurs de cette idéologie particulière, qui peut en outre être un vecteur de progrès (théologie de la Libération, etc…).
Aujourd’hui, la focalisation sur la question du voile n’est qu’un moyen supplémentaire de tenir les musulmans en marge de la vie commune. C’est une question purement idéologique sans débouché sur une lutte sociale en faveur des femmes concrètes qui portent le voile et subissent des conditions de travail difficiles. De vrais militants politiques de gauche devraient donc être y indifférents et d’ailleurs personne ne demande aux catholiques la discrétion que l’on réclame des musulmans. Je retiens surtout de ce livre une très belle maxime : « l’espace public doit être neutre justement pour que le public puisse ne pas l’être ». La manifestation publique et ostentatoire de la croyance est un élément de la liberté d’expression. Qu’elle nous incommode, nous nous devons néanmoins de la tolérer.
Une fois mon accord déclaré sur ce qui est dit, voici un peu de mon intranquillité sur ce qui ne l’est pas.
Sur la foi d’abord : je suis athée et non agnostique, c’est-à-dire que devant l’indémontrable j’ai la foi très claire qu’il n’existe pas de Dieu, ni d’autre transcendance que celles que les hommes se créent à eux-mêmes. En un sens donc, mes échanges avec les croyants sont des dialogues inter-religieux. J’y cherche parfois à évangéliser pour ma paroisse, parfois à apprendre, souvent à titiller pour le plaisir du jeu intellectuel mais sans méchanceté. Mes partenaires sont d’ailleurs rompus à esquiver mes chausses trappes d’une pirouette spirituelle au dessus du digestif. Je ne me fais désormais réellement grinçant que quand le fond affleure sous la théologie de comptoir, qu’il s’agisse de l’indifférence aux pauvres ou de l’anathème sur les criminels. Blesser gratuitement les gens est sans intérêt.
Sur les curés, en revanche… Tout groupe clérical a vite fait d’instrumentaliser le ciel à ses besoins propres sur la terre, indépendamment de ce que serait le très illusoire « véritable » message de la foi dont il s’autorise. C’est ainsi que l’une des banques les plus pourries au monde est celle du Vatican, les comptes étant protégés par le secret de la confession. Les orthodoxes juifs n’ont eu besoin que de quelques années sur un territoire où ils ne sont plus persécutés pour revendiquer un état religieux et des privilèges fiscaux et militaires. Même le clergé bouddhiste a su mener ses croisades contre d’autres religions ou, à défaut, d’autres monastères bouddhistes. Faut-il ignorer ces curés et se recentrer sur la lutte sociale ? C’est tout le débat de l’affaire Dreyfus, délaissée par Guesde comme une affaire entre bourgeois.
La liberté ne se divise pas, mais elle se rogne et il faut en défendre chaque bribe. Il s’agit là d’autre chose que la foi individuelle : mécaniquement, les clergés constituent des organisations sociales qui ont des objectifs à atteindre et embrigadent bien vite les mystères sacrés dans leurs causes. Il n’est pas bon qu’ils soient trop influents. En partie juif, en partie protestant, je suis issu de deux diasporas restées sur le mouvement pour échapper aux accès réguliers de persécution. Ne plus avoir à me poser la question d’une fuite pour moi ou ceux qui me succéderont est une immense tranquillité d’esprit, et un bienfait qui n’a été gagné que par la réduction à l’impuissance des forces du catholicisme français. L’Eglise a changé, accepté la République ? Voire ! Il n’est que de la chatouiller avec le mariage pour tous, qu’elle se sente un peu puissante, pour qu’aussitôt les vieux démons la ressaisissent. L’Eglise est à terre, fort bien ! Gardons la dans cette position, à coup de talons réguliers si nécessaire.
Ceci vaut naturellement pour tout clergé qui monte, sans distinction. Je ne suis pas raciste (d’ailleurs j’ai bien connu des juifs). Comme un thermomètre, la multiplication des manifestations d’intolérance d’un groupe structuré de curés quelconque nous signale très bien quand il commence à cesser d’être inoffensif et mérite qu’on s’occupe de lui.
Mais la saine distinction entre tolérance des croyances individuelles, aussi dangereuses soient-elles – selon une théorie de ma sœur, le nombre de tours de turban d’un taxi new-yorkais est positivement et significativement corrélé à l’irresponsabilité de sa conduite, car c’est un bon proxy de sa croyance en un au-delà et de son absence de peur de la mort – et lattage de gueule des curés regroupés dans une hiérarchie plus ou moins identifiable est trop facile.
Le voile précisément : faut-il s’affoler de ce bout de tissu plus scandaleux qu’un bikini ? N’avons-nous rien de plus important à faire ? Après tout, le voile en soi n’est pas si méchant et de vraies militantes de gauche le portent. Et nous, bons français, n’en sommes sortis que fort récemment. Les cartes postales anciennes nous montrent les femmes avec le fichu sur la tête, jusque dans les années 30 à la campagne.
Et nos charmantes petites vieilles qui portent le carreau Hermès, est-ce pour se protéger du soleil ou le fossile d’une ancienne décence ?
Alors, c’est quoi le problème ? Faisons un petit détour chez les orthodoxes juifs haredim. Y’en a par chez moi, ils ont des coiffures plus ridicules que des caniches de concours et n’aiment pas qu’on leur dise bonjour. Ils s’habillent tout en noir avec un chapeau rond et des habits de schmock mal taillés qu’on croirait sortis d’un costumier pour Varsovie 1880. Clairement, le code vestimentaire est old-style, mais quand même pas antédiluvien donc il ne doit pas être codifié dans les mizvot. Alors pourquoi ? Réponse des intéressés : c’est pour qu’on puisse nous identifier et que les gens sachent qui nous sommes. Mec, l’étoile jaune ça marche très bien et c’est moins chaud en été.
Dois-je me contenter de supporter que chacun de ces types en me croisant me dise tout bas « parle-moi pas » ? Au-delà du côté désagréable, c’est précisément la neutralité de l’espace public dont il est question. Car le bonhomme est rarement seul. Comme les gangs de L.A., ils marquent tranquillement leur territoire. Autant que possible, le but est l’expulsion des autres et l’enfermement entre soi. Oui l’enfermement, car tout est fait pour cadenasser la porte. On aura reconnu la logique d’une secte, non pas dans l’extrémisme théorique, mais dans les modes opératoires. Ne fréquente que tes pairs qui te surveillent. Apporte-leur tes ressources. Dépends d’eux pour subsister, au point de ne plus pouvoir les quitter. Obéis au fils du fils du fils du chef. A Jérusalem, prière de ne pas se pointer en short avec sa binouze dans certains quartiers…
En fait, nous sommes ici face à une proclamation vestimentaire du refus de commercer avec les autres gens, et donc avec la République et ses lois. Le problème n’est pas de s’engager avec eux dans une critique théologique ou athée à laquelle, globalement, ils sont peu réceptifs, mais de les empêcher de faire du mal à autrui. C’est une constante des mouvements religieux un peu renfermés que de s’accompagner facilement de transgressions à la morale commune. Escroquerie, abus de faiblesse, violences, pédophilie… A mes yeux, tous ces gens se trimbalent avec des gyrophares au dessus de la tête qui appellent des contrôles préventifs et réguliers du fisc et des services de protection de l’enfance.
J’exagère ? Les témoins de Jéhovah refusent à leurs enfants (et à leurs femmes) les transfusions sanguines. Mise en danger de la vie d’autrui ? D’accord, l’exemple est un peu exotique. Alors cas tout simple : les cantines scolaires. La question du repas, avec ou sans porc, casher ou pas, est souvent débattue avec chaleur mais du seul point de vue de l’organisation du service public et de sa neutralité. Renversons un instant l’optique et regardons les parents. Voici des gens qui interdisent à leurs enfants de manger à la cantine car la viande n’est pas hallal. Naturellement, le repas de substitution prévu est indigent (quand il existe). En conséquence, des enfants –parfois nombreux – sont sous-alimentés. Ceci mérite peut être un intérêt des assistantes sociales ? Voire dans les cas les plus durs le retrait de l’enfant pour sa sécurité ? La République doit trouver le moyen de permettre à tous les enfants de manger ensemble, car sa mission est de rassembler les citoyens. Lire à ce sujet l’excellent guide de la laïcité, qui s’attache à cette ambition. Vivre ensemble en étant différents est compliqué et requiert de la compréhension, du dialogue de l’inventivité mais aussi de la fermeté. Et au bout du compte, cela ne doit pas occulter la responsabilité des parents.
L’Eglise même, pourtant censée avoir fait la paix avec la République : j’ai assisté au procès de l’évêque de Bayeux, coupable de non-dénonciation de pédophilie pour avoir couvert un prêtre et l’avoir maintenu au catéchisme des petits enfants car la pauvre âme souffrait trop d’en être séparé. Toute la défense de l’évêque – soutenu sur ce point par la conférence des évêques de France – était de se réfugier derrière le secret professionnel de la confession, supérieur aux obligations pénales de la République. L’Eglise est peut-être une secte qui a réussi – relire Matthieu 10 (32-42) avec cet œil – mais elle n’en a pas forcément abandonné la mentalité.
Le voile, donc. Si l’apparition d’une burqa quelque part devrait déclencher le parachutage immédiat des assistantes sociales, du fisc et des flics (avec la quasi-certitude de trouver des choses), la plupart de celles qui portent le voile n’y sont pas contraintes et sont à l’aise dans la République. Elles expriment juste leur foi ou leur culture et demandent simplement qu’on leur foute la paix. Les fantasmes autour d’un djihad de conquête de l’Europe ne sont qu’une resucée délirante des principes du complot juif mondial. Pour les juifs ça se fait plus trop de le dire alors que les musulmans, avec Ben Laden et tout, on peut y aller ! Peu importe que l’immense majorité d’entre eux picole tranquillement dans son petit islam personnel. Peu importe que la montée de l’Islam chez les jeunes noirs et arables relève d’abord d’une réaction de dignité au racisme et au chômage (en plus ils n’ont que ça à foutre).
En revanche, l’accumulation de voiles dans un quartier fait courir le risque d’un enfermement entre soi et effectivement de pressions pour le port du voile. Par ailleurs, ceux qui interviennent au nom de la République (enseignants, services publics) ont pour tâche d’assurer la neutralité de l’espace public et ne peuvent donc pas eux-mêmes porter de manière ostentatoire des signes religieux. Des interdictions générales sont une sottise, il faut une intelligence des situations réelles.
Le livre La haine de la religion de Pierre Tevanian s’appuie sur une traduction truquée du passage de Marx sur l’opium du peuple.
http://blogs.mediapart.fr/blog/germinal-pinalie/100613/les-mots-de-marx-sont-importants-sur-la-haine-de-la-religion-de-pierre-tevanian
Très bien décortiqué. Mais j’avoue une incompréhension: quel était l’intérêt de cette manipulation? Dans quel genre de secte la parole sacrée du fondateur est-elle une assise nécessaire de son propos, l’arbitre des conflits internes au point qu’il faut truquer le verbatim pour qu’il corresponde avec son dessein? Parce qu’il est toujours bon de lire les auteurs pour se remettre en perspective, mais il ne s’y attache aucune « autorité », non?