Coupable ? Pas coupable ? Comprendre le rapport Mueller

 

Le feuilleton du rapport Mueller, désormais public, a enflammé la sphère mondiale. Rien de bien surprenant au vu des questions posées : l’actuel Président a t’il comploté avec une opération russe pour pervertir les élections américaines ? Et une fois en poste, a t’il utilisé ses pouvoirs pour mettre fin aux enquêtes sur ce point ? Sur ces deux questions, le rapport Mueller répond… sans répondre. Côté face, un nombre de faits assez ahurissant est établi. Côté pile, le Président n’est pas inculpé, et aucun jugement n’est formulé à son encontre.

Pressés par l’actualité, les premiers commentaires du rapport n’ont pas permis de résoudre ce mystère. Plusieurs tentatives d’approche ont été proposées, qui vont du caractère insuffisamment conclusif des preuves à l’échec concret des manoeuvres de Trump, ce qui aurait empêché la réalisation effective d’infractions.

A destination de ceux qui sont encore intéressés par un sujet vieux de quelques jours, voici comment lire et comprendre le rapport Mueller.

Dans le cadre de son enquête, Mueller est attorney, ce que l’on pourrait traduire par procureur. Il relève donc de la branche judiciaire, et il enquête sur le chef de la branche exécutive. Se pose alors un problème de droit constitutionnel américain: le judiciaire peut il condamner le Président en exercice ? La réponse n’est pas claire, mais considérant que la Constitution prévoit une procédure d’impeachement, la doctrine classique du ministère de la Justice et du FBI est que le judiciaire ne dispose pas de ce pouvoir, réservé par la Constitution au  Congrès.

Mueller accepte d’emblée cette doctrine. Il est donc chargé d’une enquête qui ne peut légalement aboutir à une poursuite du Président des Etats-Unis. C’est là que les choses se corsent. Car si le Président ne peut être poursuivi, alors il ne peut se défendre dans le cadre des droits qui lui sont assurés dans un procès. En d’autres termes, si l’enquête de Mueller aboutit à une accusation sans poursuite, Trump n’a aucun moyen légal de défendre son honneur et sa version des faits. Et ce genre de situation n’est pas une hypothèse d’école, par exemple avec la prescription. En adoptant une position particulièrement protectrice des droits de la défense, ce qui n’est pas absurde face à un Président en exercice, on aboutit donc à la difficulté suivante: dès lors que l’enquête ne peut conduire à poursuivre le Président, elle ne doit pas non plus aboutir à établir sa culpabilité.

Mais alors à quoi sert même une enquête ? La réponse de Mueller est que s’il n’a pas le droit de démontrer la culpabilité de Trump, il peut en revanche l’innocenter. Le rapport Mueller est donc juridiquement structuré pour déterminer s’il est possible de démontrer l’innocence du Président afin de nettoyer son nom des accusations portées, dans l’intérêt public. Quel est le résultat de cette investigation ? Citons tout simplement le résumé du rapport :

If we had confidence after a thorough investigation of the facts that the President clearly did not commit obstruction of justice, we would so state. Based on the facts and the applicable legal standards, however, we are unable to reach that judgment. The evidence we obtained about the President’s actions and intent presents difficult issues that prevent us from conclusively determining that no criminal conduct occurred. Accordingly, while this report does not conclude that the President committed a crime, it also does not exonerate him

Nous pouvons traduire de la sorte: Les éléments de preuve obtenus sur les actes et les intentions du Président présentent des difficultés qui nous interdisent de conclure de manière déterminante qu’aucun acte criminel n’a eu lieu. En conséquence, si ce rapport ne conclut pas que le Président a commis un crime [ce qui était impossible par construction], il ne l’exonère pas non plus.

On comprend que le résumé lapidaire de ce rapport sous l’expression « no collusion, no obstruction » par Trump et son Ministre de la justice ait pu quelque peu agacer Mueller, puisque précisément le seul acquis légal de ce rapport est qu’il n’est pas possible de démontrer cette innocence.

Mais est-ce le seul acquis légal ? C’est ici que nous entrons dans la zone grise du rapport, dont l’existence est tout à fait délibérée par Mueller. En effet, qu’il soit impossible de poursuivre un Président en exercice ne signifie pas qu’on ne puisse le poursuivre à l’issue de son mandat. Par ailleurs, le Congrès a via la procédure de l’impeachment le pouvoir de démettre le Président de ses fonctions. Le rapport Mueller a donc une seconde fonction légale, qui est d’établir des faits et d’enregistrer des élément de preuves tant que ceux-ci sont frais, de manière à ce qu’ils puissent être conservés et utilisés par la suite. Le véritable apport de ce rapport est donc de servir de boite à outils labellisée pour un impeachement ou des poursuites ultérieures. Là où Mueller se refuse à tirer des conclusions légales des faits qu’il enregistre, d’autres pourront le faire dans un cadre constitutionnel différent.

A prendre l’argument strictement légal, c’est un peu faux-cul. D’une part on s’interdit de qualifier des faits en incriminant Trump parce qu’il est Président en exercice et qu’il ne peut pas se défendre, mais d’autre part on accumule contre lui des éléments de preuve dont il ne peut pas non plus se défendre. Mueller a sans doute cherché ici un juste milieu dans une situation compliquée.

C’est ainsi qu’il faut comprendre la lutte de titans entre le Congrès et l’administration Trump pour la publication de ce rapport, et désormais dans une version non censurée. L’acquis majeur de ce rapport est d’établir des faits sur lesquels il ne porte pas de jugement, hors qu’ils ne permettent pas d’innocenter Trump. Quels sont ces faits ?

Sur une possible collusion entre l’équipe Trump et la Russie pour fausser les élections :

  • La Russie a interféré dans les élections américaines, notamment en piratant les données de la campagne démocrate et en les diffusant via wikileaks
  • La campagne Trump savait, avant le piratage, que Wikileaks allait diffuser ces informations. Trump a publiquement appelé la Russie à le faire.
  • De nombreux contacts bilatéraux ont eu lieu entre l’équipe Trump et des agents russes
  • Plusieurs membres de l’équipe Trump ont menti aux enquêteur et détruit des documents.

Ces éléments ne suffisent cependant pas, selon Mueller, à démontrer l’existence d’un accord préalable sur un plan commun entre l’équipe Trump et la Russie pour influencer les élections américaines. Ceci pourrait être différent si on disposait des documents détruits.

Quant à l’obstruction, les faits établis sont parfaitement caricaturaux :

  • Trump a demandé sa loyauté au directeur du FBI dans l’enquête russe, puis l’a viré quand il a refusé
  • Trump a demandé à son Ministre de la justice de ne pas se retirer de l’enquête, et au contraire de le protéger
  • Trump a fait demander au Ministre de la justice par intérim de mettre fin à l’enquête de Mueller, pour des raisons supposées de conflit d’intérêt de ce dernier
  • Trump a fait demander à son Ministre de la justice de limiter l’enquête aux manipulations électorales futures
  • Puis Trump a demandé aux différentes personnes concernées de mentir sur l’existence de ces demandes
  • Trump a demandé aux personnes inculpées dans l’affaire de déposer des témoignages en sa faveur, en leur promettant des pardons présidentiels, tout ceci en privé mais également de manière publique dans les médias

Le rapport se termine en rappelant qu’il relève du Congrès de mettre fin à un exercice corrompu de ses pouvoirs par le Président.

Alors, Mueller s’est interdit de tirer des conclusions, mais qu’en pensez-vous ?

Tout ceci explique la crise constitutionnelle actuelle, l’exécutif refusant de témoigner devant le Congrès, et de lui fournir la version complète du rapport. Les Républicains ont largement fait le mort jusqu’ici, et les démocrates se trouvent un peu interdits devant ces violations évidentes de la constitution. Devront-ils envoyer la maréchaussée ?

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