Bouclez salement votre budget avec la TVA sociale
La TVA sociale, comme ça, est le nouvel avenir radieux de l’humanité. En une semaine elle est apparue comme rumeur, possible promesse de campagne de Nicolas Sarkozy (s’il est candidat), puis réforme fiscale majeure de l’année. Curieusement, le débat s’est orienté sur des questions qui ne semblent pas avoir guidé la démarche du Gouvernement.
La TVA sociale, est-ce que ça marche? Sociale ou anti-sociale?
Disons-le tout net, je ne suis pas très convaincu de l’efficacité de la TVA sociale. On nous la présente comme un moyen de faire baisser le coût du travail, donc les coûts de fabrication, et donc de rendre notre industrie compétitive face aux zétrangers. C’est peu crédible. Quelle part les cotisations patronales représentent-elles dans la masse salariale brute ? Quelle part le coût du facteur travail représente-t-il dans le prix des produits exportés? Sans se lancer dans des calculs très compliqués, il serait très surprenant qu’au final on dépasse beaucoup les 3% d’économie, à comparer avec la baisse récente du florin Hongrois de 20%…
Observons que les pays qui n’ont pas les mêmes cotisations sociales que nous versent des salaires bruts plus élevés (un tiers plus élevés en Allemagne). Pas de cotisation sociale patronale, donc, mais on donne aux salariés de quoi se payer une mutuelle. Au final ça revient un peu au même. Faut-il aussi noter que bizarrement les branches exportatrices de notre économie sont celles qui payent de bons salaires, et que donc leur force commerciale réside moins dans le faible prix (en concurrence avec la Chine?) que dans la qualité? En privilégiant les bas salaires, on pousse l’industrie française à se spécialiser sur le milieu de gamme. C’est pas une idée si bonne que ça.
et sinon, cette TVA, elle est sociale? Bien sur! On va faire payer à tout le monde ce dont on décharge les entreprises, qui en échange vont augmenter les salaires d’un tiers, comme en Allemagne! Ou alors baisser leurs prix à mort. Ou alors embaucher comme des tarés. Comme avec la baisse de TVA dans la restauration, vous vous souvenez?
Autre issue possible: on va juste faire payer à tout le monde pendant que les entreprises vont récupérer l’argent sans le réinvestir, comme elles font déjà en ce moment. Entre les deux possibilités, mon coeur balance.
Sinon, il paraît que la TVA en fait, c’est quand même pas complètement anti-social, parce que les pauvres ne payent pas le taux plein, ils ne bouffent que des nouilles. En plus, ceux qui épargnent se contentent de différer leur consommation, ils seront taxé pareil mais plus tard (à quel taux de TVA dans 30 ans? Ou: sur le long terme, nous sommes tous morts).
Une réforme mûrement réfléchie, plus ou moins
Mais bon, on trouvera sans doute autant d’économistes pour dire blanc que noir et ma propre opinion est partisane, je ne m’en cache pas. Ce qui compte, c’est que le Gouvernement a décidé de ce transfert fiscal énorme entre français, de cette modification à la hache des coûts des entreprises et donc de leur fonction de production, de ce rééquilibrage majeur de notre productivité après avoir vaguement quand même analysé la chose. N’ayons aucun doute là-dessus, des équipes de technos y ont travaillé, ont trouvé la mesure bonne (ou au moins défendable) et ont donné un feu vert ou orange. Sinon personne ne serait assez fou pour se lancer dans une telle réforme, sans aucune étude préalable.
Une question cependant. La France vient de voter le 28 décembre sa loi de finances pour 2012, comprenant entre autres le versant fiscal de sa politique économique, élaboré en concertation avec les institutions européennes. Du réfléchi, donc, sur plusieurs mois avec toutes les administrations de l’Etat et nos partenaires européens. Rien de prévu sur la TVA sociale à cette occasion. Le 31 décembre, Nicolas Sarkozy indique sans la nommer que la TVA sociale est sur la table. Le 5 janvier, le Gouvernement l’annonce officiellement pour un collectif budgétaire en février. Le doute, tout de même, nous fouaille un peu: pourquoi donc un dossier aussi important, qui était à ce point prêt que cette réforme majeure soit annoncée avec un calendrier pour février, n’a-t-il même pas été évoqué une semaine auparavant dans la discussion budgétaire?
Dans le même style: le lendemain, soit aujourd’hui 6 janvier, le Gouvernement annonce que la France appliquera seule sur son territoire la Taxe Tobin dès cette année si l’Allemagne et l’Italie (et l’Europe) ne nous suivent pas. Décision sans nul doute longuement réfléchie également compte tenu de ses enjeux, c’est juste que personne n’en avait entendu parler avant.
Une TVA bouche-trou
En réalité, faire de la TVA une mesure sociale ou anti-importation, c’est lui faire beaucoup d’honneur, car l’enjeu n’est pas là. En effet, le Gouvernement annonçait triomphalement au troisième trimestre 2011 une baisse de la dette publique! 3,6 milliards d’euros de moins! C’est fort, surtout avec zéro croissance et un déficit publique qui pête les plafonds, là on voit les gens qui font de vrais miracles! Si on regarde d’un peu près par contre, c’est grâce à une baisse du niveau de la trésorerie de l’Etat (donc des dettes à court terme) pour 36,5 milliards d’euros. Donc, si l’Etat n’avait pas modifié son encours de trésorerie, la dette aurait augmenté de 33 milliards, c’est bête.
Bref y’a le feu au lac.
Il faut trouver de la maille vite fait si on veut pas désespérer Berlin, surtout que la perte du AAA qui s’annonce très fort va encore renchérir la charge de la dette. Ben y’a qu’à augmenter la TVA, bien brutalement. C’est super efficace, c’est testé et prouvé ça rapporte de l’argent, en plus c’est une invention française la TVA, made in chez nous!
On me dit que non en fait, que ce n’est pas l’idée puisque l’augmentation de la TVA va compenser la baisse des cotisations patronales! C’est une opération blanche pour les finances publiques, qui ne modifiera pas le niveau d’imposition général. On a un peu de mal à y croire. D’abord parce que les promesses passées de compensation « à l’euro l’euro » n’ont jamais été tenues. La masse salariale l’année prochaine va-t-elle croître au même rythme que la consommation? Bien sûr que non! Ensuite parce que dès le départ on peut parier avec certitude sur une TVA plus large que les cotisations qu’elle remplace, et sans grand risque de perdre.
Le but est bien d’augmenter les impôts des pauvres et des classes moyennes pour boucher les trous, en faisant au passage une fleur au MEDEF et aux amis du Fouquet’s. Le tout emballé avec le papier brillant de la réindustrialisation de la France, au plus grand bénéfice des ouvriers. Je crois que je vais aller pleurer un coup, tiens…
S’il « y’a le feu au lac », un capitaine de pédolo peut-il éteindre l’incendie ?
Plus sérieusement, je ne comprends pas ton opposition (qui est aussi la mienne, pour des raisons inverses) à la TVA sociale qui fut toujours mentionnée dans les programmes des unions (hoouuuu le jeu de mot !) de la gauche.
Mon opposition à cette « TVA sociale » tient … à son nom. CSG et CRDS de Rocard étaient de nouvelles contributions, avec affectations spécialisées. Soit. Pour ou contre, elles augmentent la part prélevée des salaires due par … le salarié. A défaut de mesure sociale, c’était une mesure économique.
Or la « TVA sociale » ne peut pas être autre chose qu’une augmentation du taux de TVA ordinaire, car ajouter de la TVA à la TVA (comme chez EDF : de la TVA est prélevées sur les taxes locales, ce qui semble strictement anticonstitutionnel; une taxe locale n’est pas une valeur ajoutée taxable) ne fait que produire de la TVA.
Par conséquent, la critique de la TVA sociale ne consiste pas à s’opposer à ce nouveau prélèvement, mais à contester la supercherie intellectuelle qu’elle masque : « je n’augmente pas le nominal de la TVA (normale : 19,6% par exemple), mais je créé une TVA à caractère social ».
Et quel serait l’effet mécanique d’une augmentation de la TVA générale ? L’augmentation corrélative, voir superlative, de l’indice des prix.
Suite du commentaire au prochain numéro.
Un adversaire qui te veut du bien 😉
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