Socdem, kezaco ?

L’autre jour, alors que je participais à une réunion fractionniste dans un quartier bobo de Paris, un jeune camarade cria son désarroi de ne plus savoir définir la social-démocratie dans l’après-Sarkozy. Je vais donc faire un chouia œuvre d’utilité publique.

 Qui sont-ils ?

 Fondamentalement et de manière très simple, la social-démocratie, c’est la démocratie sociale. C’est à dire la capacité des travailleurs à diriger en commun et de manière démocratique le cadre de leur vie. Comment ?

 Historiquement, la social-démocratie a existé sous la forme du parti-syndicat : le parti politique et le syndicat sont fusionnés car ils représentent les mêmes intérêts dans deux sphères différentes. En Allemagne, le parti a été le moteur du syndicat sous Bismarck. En Angleterre, c’est le syndicat qui a créé le parti travailliste. S’est ainsi créée une contre-société ouvrière qui avait vocation à grandir jusqu’à englober l’entière société, soit graduellement soit par la révolution. La dictature du prolétariat n’a pas d’autre sens chez Marx, qui la définit dans le manifeste du parti communiste comme la démocratie conquise. En 1893, Jaurès présente ainsi le socialisme :

Et c’est parce que le socialisme apparaît comme seul capable de résoudre cette contradiction fondamentale de la société présente, c’est parce que le socialisme proclame que la République politique doit aboutir à la République sociale, c’est parce qu’il veut que la République soit affirmée dans l’atelier comme elle est affirmée ici ; c’est parce qu’il veut que la nation soit souveraine dans l’ordre économique pour briser les privilèges du capitalisme oisif, comme elle est souveraine dans l’ordre politique, c’est pour cela que le socialisme sort du mouvement républicain.

 Mais assez rapidement la pratique de la démocratie et de la négociation sociale qu’induit cette forme éloignent d’une stratégie révolutionnaire au profit de progrès sociaux concrets. Marx et Engels tordent le nez devant le programme de Gotha du SPD, leur exécuteur testamentaire Bernstein théorise le réformisme et l’élargissement politique aux classes moyennes. Dans l’entre-deux guerres, la scission se fera entre ceux qui acceptent cette ligne et ceux qui, pour demeurer révolutionnaires, actent l’abandon de l’ambition démocratique autour de l’Internationale communiste. S’y ajoute de la part des partisans de la priorité de la Révolution une méfiance envers des réformes sociales qui ne sont là que pour émousser l’aiguillon révolutionnaire des masses. Les trotskistes français, de fort belle constance, s’opposeront successivement à la sécurité sociale, aux semaines supplémentaires de congés payés, au RMI, aux 35 heures, à la CMU. Seule compte la révolution, toute réforme sociale en éloigne.

Globalement, on peut donc définir la social-démocratie comme la démocratie, la négociation sociale et la sécurité sociale.

En France, les choses sont plus compliquées car aucun mouvement de masse n’a jamais existé. Les syndicats, par la Charte d’Amiens, ont envoyé bouler les partis ouvriers. Aucune structure n’a jamais réussi à intégrer les travailleurs à la même échelle que dans les pays où la social-démocratie s’est installée. En conséquence, les partis (et les syndicats) sont demeurés groupusculaires à des degrés divers (le Parti socialiste français n’a que le double d’adhérents de son homologue wallon, aucun syndicat ne fédère plus de 4 % des salariés), ce qui s’accompagne d’une certaine tendance à la pureté idéologique. En 1921, le seul parti de l’internationale socialiste à rejoindre l’internationale communiste fut la SFIO, à une majorité de 80 %. Blum, poussé à la scission, réussit en outre l’exploit d’être minoritaire dans sa propre minorité. Ce n’est qu’en 2008 que le PS a cessé de clamer qu’il avait pour ambition de produire la Révolution en France. En 1990, dans une déclaration de principes incroyablement décalée, il avait réaffirmé la vocation révolutionnaire de son action et mollement fait référence à « la faillite des sociétés bureaucratiques » qui ne devait pas le détourner de son but sublime. Les militants de plus fraîche date ne parviennent pas à imaginer comment leurs aînés, qu’ils croisent toutes les semaines en section, ont pu s’empoigner avec violence sur des débats d’un tel ridicule.

 D’où un certain vertige. Avant c’était simple, il y avait deux camps : des sociaux-démocrates modernes et des zozos (je schématise, bien sûr). Aujourd’hui Hollande gouverne avec sagesse et flexibilité et Hamon est dans la même motion que nous. En un sens, nous sommes tous sociaux-démocrates à présent, d’où notre difficulté à nous définir par rapport à d’autres groupes au sein du parti, car des différences subsistent. L’étiquette « appellation d’origine social-démocratie » a-t-elle encore un sens ?

 Que pensent-ils ?

 Le repoussoir constitué par des encore-révolutionnaires criards a fédéré dans la deuxième gauche des tribus très différentes. Avec le dégel révolutionnaire, cette richesse se révèle à nouveau. Il y a des socialistes chrétiens, qui fondent leur engagement sur une éthique. Des sociaux-libéraux qui laissent jouer les mécanismes de marché puis redistribuent la richesse. Des technos qui sont toujours en recherche de « la » bonne solution technique, dirigiste ou régulatoire selon les sous-courants. Des libertaires attachés d’abord aux libertés individuelles. Des anarcho-syndicalistes qui tiennent vivante l’espérance d’une contre-société autonome, contre l’Etat et les banques. Des socialistes opportunistes qui vont là où vont les électeurs. Et des sociaux-démocrates.

Si l’on prend les choses dans un sens plus strict que jusqu’ici, les sociaux-démocrates sont des gens qui partagent une démarche : le choix de la démocratie comme système de résolution des antagonismes sociaux.

De là découle un ensemble de conséquences. Tout d’abord, c’est une pensée qui part de l’existence du conflit social. Il ne s’agit pas de « préférer » un dialogue pacifique à un bon lattage de tronche, mais toujours d’analyser et de mesurer les tensions, les conflits d’intérêts, les haines héritées ou émergentes. C’est à partir de cette situation que l’on recherche une solution pacifique. Mieux : on met en place un système dans lequel la paix est renforcée par chaque accord atteint. La non-violence est une valeur en soi, et qui ne vient pas naturellement. Les sociaux-démocrates travaillent à produire de la non-violence dans le champ social et politique.

La démocratie est donc le moyen privilégié pour trancher les conflits. Mais pas seulement : même dans le règne politique, la loi de la majorité n’est pas légitime si elle cause un tort important à la minorité. Dans la recherche de la vie apaisée en commun, les minoritaires doivent toujours être entendus et le choix majoritaire même intègre une éthique du compromis.

On aura reconnu pourquoi l’Europe est, pour les sociaux-démocrates, une sujet aussi passionnel, un tel marqueur. Il s’agit d’une technologie de gouvernance qui, par la négociation, la discussion et le choix démocratique, est entièrement consacrée à produire de la paix après des siècles de guerres. Les autres arguments techniques passent en réalité toujours après cette réalité première. S’il a attiré nombre de moqueries, le prix Nobel attribué à l’Europe était pleinement justifié. La paix est un sport de combat.

En conséquence, les sociaux-démocrates ne se focalisent pas sur la figure de l’Etat avec un E très majuscule, mais sur celle de la question à laquelle répondre et réfléchissent à cette échelle. Et donc ils cherchent les formes démocratiques adaptées à chaque niveau de difficulté. Ils en confient une part aux partenaires sociaux, que ce soit dans l’entreprise ou nationalement, avec l’idéal de la coopérative. Ils sont décentralisateurs, pour que les problèmes locaux relèvent de la démocratie locale. Ils sont européens et fédéralistes pour que le marché européen se dote de normes sociales décidées en commun. Ils croient aux institutions internationales pour que le commerce, le travail, l’environnement mondial ne soient pas laissés au diktat du plus puissant.

Ils donnent un rôle particulier aux acteurs sociaux, car ce sont des rassemblements de personnes qui signalent l’importance qu’ils donnent à une question. En revanche, l’idée que la « société civile » peut s’imposer en face de l’Etat, pour s’y opposer ou pour le guider, est un fantasme de socialistes chrétiens. Guidés par leur vision du monde d’un troupeau unique, participant tous à des associations laïques peuplées de chrétiens, qui se retrouvent dans des coordinations laïques peuplées de chrétiens, ils ont tendance à surestimer l’unité de la société civile et à en faire une contre-société cohérente face à l’Etat. En réalité, les associations sont engagées dans un processus de concurrence pour les ressources et pour l’influence, qui est une autre forme de l’expression démocratique. On y vote avec ses mains, avec ce que l’on fait, avec ce que l’on soutient.

Ils ont un regard favorable sur le marché. Mécanisme pour partie autogéré par ses acteurs, pour partie dépendant du soutien des pouvoirs publics, le marché n’est pas seulement un outil d’efficacité économique. Il est également le vecteur de la liberté de consommer et de travailler et donc un libérateur des individus (Marx le disait également, comme Polanyi). En outre, en agrégeant les choix individuels et en orientant la production vers les préférences des consommateurs, il est un référendum permanent sur les conditions de bien être de la population. Il n’est donc pas en soi néfaste, mais doit être organisé pour bénéficier aux travailleurs dans un cadre égalitaire. Il est une autre figure de la démocratie.

En France, DSK a redéfini le corpus concret d’action autour des « trois socialismes » pour une égalité réelle :

Le socialisme de la production se préoccupe à la fois de la productivité, qui commande la richesse globale de la société, et des conditions de travail, qui déterminent prioritairement le bien-être individuel et la répartition des richesses produites. L’accent est porté sur la dynamique d’innovation, notamment par la formation. Les travailleurs sont intéressés et associés au fonctionnement de l’entreprise, elle-même confrontée à des mécanismes l’encourageant à améliorer les conditions des travailleurs. La question de la sécurité s’attache désormais au travailleur avec la sécurité professionnelle. En effet, la perte de centralité de l’organisation ouvrière au profit des employés se traduit par de nouvelles formes d’organisations du travail (précarité, flexibilité) et donc de nouveaux besoins d’organisation sociale et politique.

Le socialisme de la redistribution assure un certain degré d’égalité et limite la grande pauvreté. Il n’est pas totalement achevé, mais en voie de l’être à peu près. La pression fiscale et budgétaire fait qu’il rencontre ses limites historiques. C’est le grand acquis de la social-démocratie encore à perfectionner, mais sans doute plus son horizon de progrès futur.

Le socialisme de l’émancipation doit permettre à chacun de mener la vie qu’il souhaite indépendamment des hasards de sa naissance. Le moyen d’action premier de ce pan du socialisme rassemble les services publics, au premier rang desquels la santé et l’éducation. Pour atteindre la plus grande égalité sociale, les moyens de ces services doivent être concentrés auprès de ceux qui en ont le plus besoin. A ceux qui n’ont pas de capital privé, la société doit apporter un capital public.

Et donc ?

Et donc François Hollande, dans l’ensemble, mène une politique bien social-démocrate. Pour la première fois depuis longtemps, les partenaires sociaux ne se sont pas réunis pour la galerie, mais leur accord a été entériné par le gouvernement. Des réformes de société sont faites, le sérieux dans la gestion publique est assumé en grande partie par des hausses d’impôts et une réforme bancaire embryonnaire est mise en place en avant-première mondiale. Les sujets politiques sont dépassionnés. Tout se discute, on fait des demi-pas en arrière après avoir pris deux pas en avant.

Reste à faire du Parti socialiste un mouvement social-démocrate. A quoi cela ressemblerait-il ?

Oublions les chimères du parti de masse. Ce n’est pas notre culture nationale et cela n’adviendra pas. Chaque grande campagne d’adhésion se solde par des départs tout aussi nombreux en quelques années – pas nécessairement les mêmes qui viennent d’entrer. Oublions la fusion avec les syndicats, l’indépendance syndicale est un fait français qu’il faut acter et non poursuivre d’un long regret. Et d’ailleurs avec quoi fusionner ?

Posons simplement trois idées :

1) Un parti social démocrate est un parti de travailleurs

Dès lors que les socialistes ont, entres autres, pour visée de réguler les conditions de travail et d’être porteurs de progrès social, ils ne peuvent se couper de l’expérience du travail. Le renfermement sociologique des retraités, des chômeurs, des personnes au foyer démontre que l’éloignement de la réalité de la sphère productive prive d’un lien au réel et encourage des dérives idéologiques. La différence de discours porté sur le travail par ceux qui en ont l’expérience directe et par ceux qui l’imaginent ou réécrivent leur expérience au seuil de leur vie est extrêmement forte.

Or le Parti socialiste est aujourd’hui dans sa composition, d’abord un parti de cadres politiques. Constitué en majorité d’élus, de candidats, de candidats à la candidature, d’assistants d’élus et de candidats à l’assistance d’élus, il rassemble surtout des professionnels de la politique. Leur existence doit être reconnue, une sécurité professionnelle et des voies de sortie doivent leur être apportées pour éviter le renfermement de cette sphère. Néanmoins cette situation est insatisfaisante, car l’expérience immédiate du travail dans le monde productif (au sens large) est très relative dans une telle structure.

Le PS doit donc s’organiser pour s’adapter à l’accueil des travailleurs, et non pas en fonction des impératifs pratiques des professionnels de la politique. Le faible nombre d’adhérent tient moins à la difficulté d’attirer de nouvelles personnes – elles viennent – mais au peu qui restent parce qu’elles ne se sentent pas accueilles, ou plus exactement pas chez elles, qu’elles en sont chassées. Les horaires des réunions, le mode de fonctionnement, la convivialité militante doivent s’organiser de ce point de vue.

Il en va de même des responsabilités au sein du Parti, dont l’exercice doit être compatible avec les horaires de travail extérieur et plus généralement avec la charge d’un travail salarié sans qu’un sacrifice relatif de carrière ne soit nécessaire.

2) Un parti social-démocrate est une prolongation de la société

Ailleurs, les syndicats et le parti sont intimement mêlés. Statutairement, nous nous ignorons, il n’en reste pas moins que de nombreux membres du parti sont syndiqués. C’est d’ailleurs théoriquement une obligation.

De la même manière, les militants socialistes sont dans leur grande majorité investis dans des associations qui constituent le tissu de la vie civile. Pourtant, ils se dépouillent en franchissant le seuil du Parti de leur appartenance à d’autres réseaux pour ne se consacrer qu’aux sujets internes. C’est sacrifier ce qui est la plus grande richesse du Parti Socialiste.

Aucun engagement, aucune réflexion ne devrait avoir lieu en dehors d’un dialogue poussé avec les syndicats et les associations – et pas uniquement celles qui sont proches du parti. La porte devrait toujours leur être ouverte pour qu’elles puissent amener leurs idées et définir la réflexion commune. Dans chaque section, le rassemblement des militants doit être envisagé comme un groupe de militants associatifs, qui permette l’échange et l’entraide. Si les syndicats, les associations et le PS partagent des hommes, ils peuvent également partager des dynamiques portées par les individus sans que des accords d’appareil s’imposent.

Lors des primaires de 2011 deux millions et demi de français, par deux fois, sont venus apporter leurs voix dans un scrutin interne au Parti socialiste. Manifestement ces gens ne souhaitent pas adhérer ; il l’auraient fait. Manifestement, ils sont proches des idées du PS et mobilisés. N’avons nous aucun contact à conserver avec eux ? N’avons nous rien à leur proposer de différent qui les intéresse ? Ne peuvent-ils pas être la queue immense d’une comète dont le noyau serait le Parti ? Notre approche obsessionnelle à leur égard a été d’en transformer le plus possible en OS du porte à porte. Peut être était-ce un peu court.

3) Un parti social démocrate est européen

Dès lors que l’action des socialistes européens se fait dans le cadre des institutions européennes d’une part, et du système politique européen d’autre part, le Parti socialiste européen devenir une véritable fédération de partis et non plus seulement une collection de partis nationaux. Il doit donc prioritairement fixer les orientations européennes majeures des socialistes, qu’elles relèvent strictement de la compétence des institutions européennes ou qu’elles participent à l’unification politique du continent. Dans ce cadre, le PS doit se considérer comme la section française du PSE.

De la même manière, l’angle européen ne peut plus être considéré au PS comme un sujet parmi d’autres, mais sur chaque sujet comme un élément du cadre de transformation de la société.

L’échange entre militants des différents partis européens doit être la norme, et dans l’idéal chaque fédération d’un parti membre du PSE devrait être jumelée à une ou plusieurs autres pour travailler et militer en commun.

Oui, je sais, je rêve

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2 Comments

  1. Bon travail de pédagogie et de synthèse.

    Juste histoire d’y ajouter mon grain de sel, je pense que le deuxième aspect du socialisme socdem, la redistribution, peut ou doit évoluer vers quelque chose qui est de l’ordre de l’assurance sociale & économique.

    1. Salut Bloggy! ça fait plaisir de te retrouver!

      Pour info, je suis d’accord avec toi sur le côté assurantiel du revenu de redistribution, mais dans un cadre où existe un revenu universel d’existence. Un article là dessus un de ces prochains jours. Par ailleurs, j’ai de gros problème avec la PPE, qui revient à subventionner des salaires indécents. Mais je ne sais pas quoi mettre à la place, et du coup je ne propose pas sa suppression 🙂

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