Non, Ségolène ! Pas de comptes d’apothicaire au PS !
La sortie des bonnes feuilles d’un livre, Hold-up, arnaques et trahison, a replongé le Parti Socialiste dans la tourmente de ses batailles internes en quelques heures à peine. La thèse de ses auteurs, de Karim Rissouli et Antonin André, est que le congrès de Reims a été l’objet d’une entreprise de fraude électorale massive de la part des partisans de Martine Aubry afin de faire basculer la victoire en sa faveur. Ils s’abstiennent de publier leurs preuves par mesure de courtoisie, mais la physionomie générale de l’événement est peu contestable, et d’ailleurs très faiblement contestée par les principaux intéressés.
Les divisions du Parti Socialiste sont à nouveau à vif, et Ségolène Royal, outrée, annonce un message solennel de sa part le mardi suivant, dans lequel elle demande simplement « la vérité ». À bien y regarder pourtant, ce livre présente deux défauts : il ne révèle pas grand-chose qu’on n’ait en fait déjà su, comme en conviennent largement les proches de Ségolène Royal, et il omet d’exposer les pratiques mises en oeuvre par les partisans de cette dernière, analysant comme la manoeuvre d’un camp ce qui est en fait un mode de fonctionnement pathologique du parti tout entier.
Bertrand Delanöe, véritable victime de la fraude
A voir certains des meilleurs spécialistes du clientélisme local rejoindre le camp supposé du renouveau des pratiques politiques, il est pourtant bien légitime de se demander s’ils n’ont pas fait profiter Ségolène Royal de leur expérience poussée d’une démocratie très « participative ». A partir de là, il est vain de chercher à déterminer avec précision quel camp a le plus bourré les urnes. On peut simplement considérer un indicateur de manipulation relativement simple et robuste : les scores de maréchal.
En effet, quand une candidate a littéralement écrasé l’autre dans une circonscription, une méfiance de bon aloi est concevable. Il se trouve qu’il est possible de faire une expérience statistique très primitive : observer quel est le résultat du vote si l’on retire les fédérations ayant donné des scores invraisemblables. Ainsi, le résultat du vote est de 50,02% en faveur de Martine Aubry. Si l’on décompte les fédérations ayant donné plus de 90% des voix à l’une des candidates (Oui, il y’en a ! Et des deux côtés…), on obtient 50,48%, encore en faveur d’Aubry. En excluant celles qui ont donné plus de 80%, le score de Martine Aubry est de 50,99%. Et sans celles qui ont donné plus de 70%, Aubry l’emporte avec 50,86% des voix. Si ce petit exercice semble indiquer un bourrage d’urnes légèrement plus important du côté des partisans de Ségolène Royal, la faiblesse de la marge conduit plutôt à déclarer une paix des braves, chaque camp s’étant comporté avec une vaillance égale dans cet exercice.
En réalité, la victime de la manipulation des urnes à ce congrès est… Bertrand Delanöe ! Celui-ci, qui avait dédaigné de se prêter à ses manœuvres – ce qu’illustre amplement son score de 36% à Paris dans son propre bastion – n’a en conséquence pas pu se présenter à l’élection de premier secrétaire, qu’il aurait sans doute gagnée en l’absence de fraude. La dignité de sa réserve contraste pour le moins avec les cris d’égorgés des victimes imaginaires.
Il est donc naturel que les protestations de Ségolène Royal et de ses partisans n’aient jamais quitté le plan des déclarations de principe, une vérification minutieuse ayant en fait peu de chances de tourner à leur avantage. Ayant échoué dans son entreprise de conquête du parti à Reims, perdant le contrôle de sa propre motion qui entame un rapprochement avec la direction après s’être progressivement détaché d’elle, Ségolène royale est obligée de rechercher à l’extérieur le poids qu’elle a perdu en son sein en prenant la présidence de Désir d’Avenir. La sortie – providentielle – de ce livre lui permet de motiver de façon satisfaisante son éloignement du bunker de Solférino, allant même jusqu’à annoncer qu’elle ne demande pas que l’on revote, et d’ailleurs qu’elle ne serait pas candidate.
Et maintenant ?
Mais tout ceci occulte la véritable question de fond, qui est celle de la difficulté de faire vivre la démocratie dans un parti politique. A force de vilipender le PS pour ses pratiques peu reluisantes, on finit par perdre de vue qu’il est pour ainsi dire le seul parti à tenter l’exercice de la démocratie. Si l’on excepte les Verts, groupusculaire, que dire d’un PCF qui n’a renoncé que tout récemment au centralisme démocratique, d’un NPA qui exclut ses minoritaires, d’un Modem où la question de la démocratie interne est pour le moins nébuleuse, de l’UMP (que dire, en effet ?) et d’un FN qui n’y a jamais prétendu ? Si le PS se dispensait tout bonnement d’organiser des élections, y’aurait-il finalement quelqu’un pour le regarder de travers ?
Il est inutile de chercher à recompter, les scores sont largement artificiels et ne se préoccuper que de la désignation du premier secrétaire serait oublier Bertrand Delanöe. Il est également vain de revoter, sans avoir rien mis en place pour éviter la réédition du spectacle. Martine Aubry est première secrétaire, elle a été ralliée en tant que telle par trois des quatre grandes motions, puis récemment par la dernière. Le problème n’est pas de revenir sur Reims, mais de tout faire pour qu’il ne se reproduise plus.
A ce titre, la rénovation promise des pratiques politiques est une très bonne chose. Les militants sont en effet appelés par référendum à se prononcer sur un ensemble de questions, allant des procédures de vote au cumul des mandats à la primaire. Ne nous y trompons pas, tout va ensemble.
Pourquoi la fraude est-elle si massive ? Parce que le PS a un mécanisme de pouvoir qui fait remonter des structures de base au sommet et fait donc dépendre les résultats nationaux des nécessités locales : il favorise les coalitions de barons locaux sous couvert de divergences politiques largement artificielles. Qui peut croire que le choix de Ségolène Royal par les barons du parti (et par la direction de Solférino, Hollande mis à part) n’a pas débouché sur une fraude massive lors de la primaire de 2006 ? Qui peut croire que la proposition de Ségolène Royal lors du dernier congrès de faire redescendre les finances du parti au niveau des fédérations était sans rapport avec cet état de fait ?
Couper le lien entre les fraudes locales et la situation nationale : la primaire. Le rôle de l’échelon national du parti est de produire un candidat et un programme. En lui retirant la désignation du candidat pour le confier aux sympathisants, on retire la majeure partie de leur intérêt à des fraudes organisées sur l’ensemble du territoire.
Couper le lien entre les fraudes locales et la situation nationale : le laboratoire d’idées, les questionnaires et les conventions : En 2006, le PS s’était doté d’un programme sous la férule de DSK. La candidate ayant décidé qu’il ne lui allait pas, l’avait écarté sans jamais véritablement parvenir à le remplacer. Pour éviter que la constitution du programme ne préempte de fait le candidat, il faut également le retirer pour partie à la direction nationale. Le laboratoire d’idée vise à faire émerger des propositions complémentaires ou alternatives sur chaque thème, de façon à ce que chacun puisse faire son marché. Les conventions permettent de mettre les débats en lumière devant les militants, et doivent leur offrir la possibilité de trancher. De même le référendum, sous la forme des questionnaires, doit devenir un acte banal de la vie du parti pour ne pas cristalliser de tensions.
Eliminer les féodalités locales : le cumul des mandats. La mainmise de barons sur leur territoire local est une des plaies fondamentales de la démocratie au sein du PS. C’est ainsi que Georges Frêche, bien qu’exclu du parti socialiste, continue de dominer les fédérations de l’Héraut et du Languedoc-Roussillon. Cumulant les postes et les salaires, ils vivent de leur position locale. Très rapidement vient la tentation de les conserver, contre les opposants internes si nécessaire. Réduire fortement le cumul ne peut que conduire à faire rentrer d’avantage de personnes dans le circuit, et donc à favoriser les occasions de dissidence.
Vérifier le vote : une haute autorité, des observateurs. En désignant une sorte de cour suprême indépendante de la direction (le plus possible), la question de la discipline interne au PS n’est plus une arme au service du premier secrétaire, mais un élément de régulation. Pour cela, il faudra que la direction n’ait pas le monopole de sa saisine, mais qu’elle soit ouverte à tous les membres du bureau national, qui représentent toutes les tendances. Il faudra également que ses membres soient désignés selon la forme la plus large possible, avec une majorité qualifiée au sein du bureau national des deux tiers ou plus pour éviter les arrangements entre motions. La mise en place obligatoire de procédures plus proches de celles suivies pour les élections du pays ne peut que rendre les fraudes plus difficiles. A ce sujet, favoriser le contrôle d’une fédération par des observateurs issus d’une autre serait une garantie solide de leur indépendance.
Le parti socialiste n’est pas l’exemple même d’un piétinement de la démocratie : il est celui de la tentative de démocratie. Ce n’est pas de manipulation supplémentaire qu’il a besoin, mais de réformes rendant possible l’expression réelle de la démocratie.
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