Mais où vont les emplois industriels?

On sait, ça devient bien connu, que l’emploi industriel est en recul : 1,9 millions d’emplois entre 1980 et 2007, ce qui représente une baisse d’un tiers. Mais pourquoi ? Le Trésor vient de publier une étude très intéressante qui donne quelques pistes ne reprenant pas nécessairement le discours ambiant.

En premier lieu : la sous-traitance. Il s’agit en fait d’un simple tour de passe-passe entre la catégorie statistique des emplois industriels et celle des emplois de service. En effet, les emplois ne sont pas comptabilisés en fonction de leur nature propre, mais de la branche à laquelle appartient l’entreprise qui emploie. Conséquence : les agents de nettoyage salariés par un industriel sont des emplois industriels. Le jour où il décide finalement de recourir à une entreprise de nettoyage, les gens qui font le même travail occupent des emplois de service.

Cet effet est loin d’être mineur, compte tenu de la réorganisation profonde qu’a connu le système industriel au cours de ces dernières décennies, vers toujours plus de flexibilité et d’indépendance des niveaux d’intervention dans la chaîne de production. C’est environ un quart de la « perte » des emplois industriels qui relève de ce phénomène sur les trente dernières années. Mais l’externalisation est devenue une norme générale et ne progresse plus guère. D’après le Trésor, elle ne représente plus que 5% des emplois « détruits » de 2000 à 2007.

Viennent ensuite deux phénomènes difficiles à départager, car difficiles à mesurer. Le premier est le passage à une société dite inexactement post-industrielle. L’industrie n’est pas en effet en recul : il suffit de considérer les masses de produits consommés pour en acquérir la certitude. Mais la hausse extraordinaire de la productivité dépasse celle de la consommation. Elle abaisse le coût des produits industriels – et donc leur place dans le PIB – et diminue le nombre de travailleurs nécessaires pour les produire. Le secteur des services ne connaît pas un tel développement de la productivité, et le pouvoir d’achat libéré par la baisse du prix des biens de consommation conduit donc à une plus grande demande de services, et ainsi à un accroissement de l’emploi. La hausse de la productivité déforme donc à la fois la structure de la consommation et de la production entre l’industrie et les services.

Cette transformation de la production et de la consommation serait responsable d’un petit tiers de la disparition des emplois industriels. Or il se trouve que la productivité industrielle augmente de plus en plus rapidement au point que l’auteur de l’étude estime qu’au cours de la dernière décennie cet effet est en réalité responsable des deux tiers des destructions d’emplois industriels.

La troisième cause majeure est naturellement le développement du commerce international. Un déficit commercial régulier en matière industrielle n’est pas sans effet sur l’emploi. Mais on entre là sur un domaine plus délicat. Il est indéniable que les échanges ont augmenté (le degré d’ouverture du secteur industriel a augmenté de moitié en trente ans), mais le déficit n’est pas nécessairement synonyme de perte d’emploi : les exportations industrielles correspondent bien à une création d’emploi en France, mais les importations ne détruisent de l’emploi que si elles se substituent à une production nationale, pas si elles concernent des produits qu’on ne fabriquait pas. L’effet historique devient dont rapidement difficile à mesurer, car il faut analyser la structure du commerce industriel dans les détails.

Une première méthode est de mesurer par branche industrielle, en tenant compte des différence de productivité : une branche avec une productivité très forte a besoin de peu d’emploi pour produire des valeurs importantes, et donc un déficit ou un excédent ne représentent pas énormément d’emplois créés ou supprimés. Selon les secteurs, l’ouverture au commerce mondial est donc responsable de 3% à 86% des emplois détruits. Autant dire que certaines branches de l’industrie ont très bien résisté (l’agroalimentaire, notamment, a gagné des emplois) et que d’autres ont connu beaucoup plus de difficultés (automobile). Au total, le commerce serait responsable de 13% des destructions d’emplois industriels, et 20% sur les dix dernières années.

Mais prendre la productivité moyenne d’un secteur pose problème : les entreprises qui exportent sont celles qui ont la meilleure productivité et créent donc moins d’emplois que la moyenne, les entreprises qui succombent ont une productivité moins forte, employaient donc plus de monde et par conséquent suppriment plus d’emplois que la moyenne. Donc la concurrence internationale, en poussant les entreprises les plus productives, diminue le nombre d’emplois moyens. De plus au sein d’une même branche les importations venant de pays moins développés concernent les produits qui demandent plus de travail que de capital. Les produits éliminés au sein de chaque branche sont donc ceux qui créent le plus d’emplois. Mais il y’a aussi des effets positifs (les produits importés sont moins chers et libèrent du pouvoir d’achat pour des services, etc…). Une autre approche consiste alors à rechercher une relation statistique pendant 30 ans dans les pays de l’OCDE entre commerce et emploi industriel (comme dans cette étude). Le poids de l’explication commerciale monte alors à 45% depuis 1980 et 65% dans la dernière décennie (du coup, oui ça ne fait plus 100%). Il faut toutefois noter un point très intéressant : le commerce avec les pays émergents (les pays hors OCDE, et quelques OCDE comme la Turquie, le Mexique…) ne représenterait que 17% des emplois détruits depuis 1980, et 23% depuis 2000.

Contrairement donc à beaucoup d’idées reçues, l’émergence de l’Asie du Sud-Est, puis de la Chine et de l’Inde n’a pas profondément influé sur l’emploi industriel : la sous-traitance a transformé bien plus intensément le tissus industriel et les deux déterminants majeurs à l’heure actuelle sont bien la hausse de la productivité, qui appelle des solutions du type partage du temps de travail, et la concurrence internationale avec… les pays développés, et d’abord à l’intérieur de la zone Euro.

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