DSK et Lamy, ultra-libéraux ?
Nous avons désormais deux socialistes français en charge d’institutions importantes de la mondialisation. Mais voilà : ils ne conduisent pas une politique altermondialiste. Ergo, ce sont des ultra-libéraux. Je ne sais pas très bien ce qui me navre davantage, de la propension à appeler ultra-libéral tout ce qui ne pense pas exactement comme vous (sur un schéma de pensée totalement binaire, eux et nous, choisis ton camp camarade ; naguère on disait « fasciste »), ou de l’ignorance crasse des règles de fonctionnement de ces organisations.
Car le FMI et l’OMC fonctionnent à l’unanimité des membres. Dès lors, on voit mal par quelle magie l’arrivée d’un socialiste à la tête d’une d’entre elles se traduirait immédiatement par un revirement de l’institution qui se mettrait soudainement à faire l’inverse de sa politique précédente. La marge de manoeuvre réelle du directeur ne lui permet évidemment pas de leur faire changer de cap quand il partage la barre avec un certain nombre de gouvernements. Son pouvoir est ailleurs : il est bien placé pour décider à la marge, influencer, choisir autant que possible les termes du débat.
Six semaines après l’arrivée de DSK, le FMI a publié un panygérique de la politique prévue de Sarkozy. DSK montre donc sa vraie nature. Franchement ! Le rapport était manifestement écrit avant son arrivée, et vous imaginez un peu que le premier acte du nouveau directeur soit de demander la réécriture d’un rapport pas assez critique envers son ancien rival à la présidentielle ? Ca passerait un peu mal, non ? Qualifiant le FMI d’ « usine à faire des rapports », DSK commence par se séparer d’un certain nombre d’économistes pour recruter des spécialistes des marchés financiers. Devinez lesquels vont partir ?
Quant à Lamy, il suffit de le lire dans le texte pour voir qu’effectivement, c’est un dangereux ultra-libéral :
«Nous ne pouvons pas nous satisfaire du capitalisme»
Magazine Challenges | 06.12.2007 | Réagir à cet article (3 réactions)
Directeur de l’Organisation mondiale du commerce, Pascal Lamy, un des plus fins observateurs de la mondialisation, réhabilite la critique marxiste du capitalisme.
Homme de gauche, directeur général de l’OMC, Pascal Lamy est au coeur de la mondialisation. Son sentiment ? Le marxisme, comme outil d’analyse du capitalisme moderne, reste pertinent. Sa conviction ? Il faut chercher des alternatives à ce même capitalisme.
Challenges. Comme l’ont écrit un certain nombre d’auteurs récents, Marx reste-t-il le meilleur penseur du capitalisme contemporain ?
Pascal Lamy. Le meilleur, non, parce que l’histoire nous a montré qu’il n’était pas le prophète que certains ont vanté. Mais il n’existe rien de comparable du point de vue de la puissance explicative sinon prédictive. Si l’on veut analyser le capitalisme de marché mondialisé d’aujourd’hui, l’essentiel de la boîte à outils intellectuelle réside dans ce que Marx et un certain nombre de ses inspirateurs ont écrit. Bien sûr, tout n’est pas parfait. Il y a des tas de critiques à faire sur Marx, et il a été probablement meilleur philosophe et meilleur théoricien de l’économie qu’il n’a été penseur politique…
Que retenez-vous de Marx ?
Avant tout l’idée que le capitalisme de marché est un système reposant sur une certaine théorie de la valeur et sur la dynamique et les dérives qu’il peut générer. Un système où il y a des propriétaires du capital qui achètent le travail et des détenteurs de leur force de travail qui la vendent. Cette relation implique une théorie du profit qui découle d’une aliénation : le système a tendance à ce que les riches deviennent plus riches dès lors qu’ils accumulent du capital et les pauvres plus pauvres dès lors qu’ils ne sont détenteurs que de leur travail. Tout cela reste en gros vrai. Personne depuis n’a inventé une analyse de la même importance. Même la globalisation n’est qu’une étape historique du capitalisme de marché telle que Marx l’avait imaginée.
Mais à quoi bon critiquer le capitalisme. N’est-il pas admis par tous ?
Le capitalisme de marché est un système qui possède des vertus et des travers : efficience, inégalités, innovation, court-termisme… Sa financiarisation récente a brutalement changé l’équilibre laborieusement élaboré entre le capital et le travail. Les institutions développées pour protéger les travailleurs se sont trouvées de plus en plus inadaptées et inefficaces. D’où la priorité que j’ai donnée à l’objectif de maîtrise de la mondialisation lors de mon mandat de commissaire européen au Commerce. A l’époque, en 1999, cela avait surpris. Il faut écouter ceux qui parlent de modes de croissance alternatifs, ceux qui s’inscrivent contre cet énorme poids consumériste qui fait que tout est matérialisé, marchandise, contre ce système qui fait que les gens entrent en relation avec des symboles qu’on leur vend grâce aux médias et à Internet, mais n’achètent au fond que leur propre image à longueur de journée. Il y a une espèce de cannibalisme psychique là-dedans qui provoque des dérèglements. Beaucoup de gens sont malheureux parce qu’on les met constamment en comparaison avec leur voisin, avec une image d’eux-mêmes qu’on leur fabrique et qu’ils ne peuvent pas atteindre. Je fais partie de ceux qui pensent qu’il faut continuer à chercher des alternatives et que la politique doit s’impliquer plus dans ces questions.
Des alternatives au capitalisme ou des alternatives à la façon dont le capitalisme fonctionne ?
Des alternatives au capitalisme. On ne peut pas se satisfaire du capitalisme. Il est un moyen qui doit rester au service du développement humain. Pas une fin en soi. Un seul exemple : si on n’interroge pas vigoureusement la dynamique du capitalisme, croyez-vous que nous parviendrons à maîtriser les changements climatiques ?
N’est-ce pas utopique ?
Et alors ? Du point de vue théorique, je ne crois pas qu’on puisse se satisfaire de borner l’horizon historique en disant que le capitalisme de marché est un modèle qui est stable, à quelques amendements près. Il se nourrit de trop d’injustices. Mais on peut aussi être réaliste et constater que jusqu’à présent ce qui a été soit pensé, soit écrit, soit appliqué en termes d’alternative au capitalisme n’a pas tenu la route. Le test de la réalité doit demeurer essentiel.
Mais tout de même, tout n’est pas à jeter dans le capitalisme…
Bien sûr que non. Je voudrais qu’on sorte des anathèmes réciproques. Le mur de Berlin est tombé il y a près de vingt ans. Il est temps de pouvoir discuter de la réalité sans tomber dans la caricature. Le capitalisme est même un système très efficace. D’autant plus qu’il est maintenant globalisé, ce qui produit davantage d’économies d’échelle. Avec le même capital, on peut utiliser davantage de travail sur des séries plus grandes. Cela crée, certes, des inégalités, mais aussi du pouvoir d’achat, de la croissance. Le capitalisme a sorti entre 300 et 500 millions de personnes de la pauvreté au cours des vingt-cinq dernières années. C’est le cas en Chine et en Inde, un peu moins en Afrique, or c’est une réalité et on ne peut pas la nier. Il faut être suffisamment lucide pour reconnaître les inconvénients, mais aussi les avancées de ce système.
A propos de la montée en puissance de la Chine, n’est-on pas là au coeur de la théorie marxiste, celle de la sublimation du capitalisme avant son autodestruction ?
Si Marx analysait la Chine d’aujourd’hui dans sa réalité et pas dans son projet, et s’il en parlait avec Tocqueville, il lui dirait que l’Amérique est finalement très sociale-démocrate comparée au modèle qu’incarne la Chine. Aux Etats-Unis, vous avez une forme d’aide sociale pour les plus pauvres, vous avez des bons alimentaires, des systèmes de prévoyance largement privés, certes, mais aussi publics pour les plus démunis. Tout cela n’existe pas en Chine.
Les dirigeants chinois évoquent une phase transitoire…
Quand je parle aux dirigeants chinois, ils me disent que, pour eux, cette phase de transformation économique comporte des risques de déséquilibres sociaux, régionaux, environnementaux. Et ils en sont inquiets. Ils disent : «Nous devons traiter la question, mais nous avons réussi à sortir de la pauvreté des millions de gens, et cela de manière constante depuis trente ans. Personne d’autre n’a fait cela (ce qui est vrai), créditez-nous du fait que c’est un moment de notre parcours.»
Vous y croyez ?
Je les comprends.
Mais encore, vous qui les fréquentez régulièrement ?
Je crois qu’ils sont très préoccupés de ces questions, mais je crois aussi que la résolution de ces questions est intrinsèquement nécessaire à l’évolution du système chinois. Si , ces questions sociales, de déséquilibres sociaux, environnementaux, régionaux, ne sont pas traitées, alors c’est le système lui-même qui est en cause. Les Chinois épargnent trop et ne consomment pas assez. C’est l’une des sources du déséquilibre du commerce mondial.
Pourquoi, d’après vous ?
Parce qu’ils mettent de côté pour leur retraite, pour l’éducation de leurs enfants et pour le jour où ils sont malades. C’est là qu’on revient au capitalisme de marché. Cela n’est pas tout à fait un hasard si M. Bismarck a inventé la sécurité sociale, si M. Ford était pour et si M. Beveridge l’a perfectionnée. Ce sont des nécessités pour le fonctionnement du système lui-même à défaut de la recherche d’une alternative.
Où en est la gauche française avec Marx ?
Parlons d’abord de la gauche sur le plan mondial. Dans une phase où le capitalisme de marché est plus efficace et plus inégalitaire qu’avant, la réalité politique actuelle est, d’un certain point de vue, beaucoup plus porteuse pour la gauche. Vous avez du reste des événements qui viennent soutenir l’aspect difficilement soutenable du modèle : soit des dérives intrinsèques, telle la crise des subprimes, soit des phénomènes que le capitalisme et son système de valorisation ne permettent pas de traiter, le plus évident est le réchauffement climatique.
Mais la gauche française est-elle encore trop marxiste ?
Oui, mais pas dans son analyse du capitalisme, plutôt au sens de ce que Marx a écrit sur la Commune. Ce que la gauche française aime dans Marx, c’est le côté «la révolution, c’est demain, travailleurs de tous les pays unissez-vous, faites la grève, cassez les reins du capitalisme et des capitalistes, et prenez le pouvoir». C’est le mythe de la gauche française. C’est la fertilisation de Gracchus Babeuf par Marx dans la pensée politique française parce que Babeuf a été un des inspirateurs de Marx.
Pourquoi le modèle social-démocrate n’a-t-il, selon vous, jamais prospéré en France ?
Parce que la gauche française reste obnubilée par l’égalité, et parce qu’elle en a une vision souvent théorique, qui l’éloigné par exemple du mouvement syndical, plus pratique dans son approche et donc plus dynamique. John Rawls est un homme dont la pensée est admise par les trois quarts de la social-démocratie dans le monde et qui continue à être rejeté par le PS. On vous dit «Rawls, c’est un philosophe de droite». Et pourquoi ? Parce qu’il parle d’équité et pas d’égalité. C’est quelque chose qui mérite débat. Parce que si l’incarnation concrète de l’égalité, c’est l’équité, alors rejeter l’équité au nom du fait que c’est une notion de droite revient tout simplement à rejeter la réalité quand elle ne colle pas avec l’analyse qu’on en fait.
Si je suis social-démocrate, c’est à la fois parce que je crois profondément à la nécessité et à la possibilité de changer ce monde, mais aussi parce je crois que toute politique se fonde sur des faits.
par Daniel Fortin & Mathieu Magnaudeix