Ovide et l’Eglise : 2 000 ans ne refroidissent pas la haine !
Foin de la grippe A, oubliez la crise, un drame moral profond secoue l’hexagone : Ovide au Bac !! Mais fort heureusement les forces les plus saines de notre pays (et de la Suisse) mettent en place une contre-offensive vigoureuse.
Ovide a toujours été une bête noire de l’Eglise. Libertin, licencieux, en somme le démon incarné venu pervertir les ouailles. Elle lui voue une haine vigilante d’une vingtaine de siècles, qui ne saurait s’amollir avec le temps quand on est là pour les siècles des siècles à venir. Confinée dans des débats policés entre latinistes, cette animosité redevient éruptive à la moindre piqûre de rappel.
« L’art d’aimer » est inscrit au programme du baccalauréat de latin ! Rien que de très souhaitable : un latin très pur, une œuvre de salubrité publique qui devrait être proposée à l’ensemble des lycéens. Mais voilà, l’Eglise est en plein retour à ses fondamentaux. Faisant le grand écart avec le peuple des croyants, de plus en plus ouverts et tolérants, la crise des vocations réserve les séminaires à de jeunes gens qui n’ont pas Vatican II en haute estime. Et le Pape lui-même s’appuyant sur l’Opus Dei, ouvre les bras à la Fraternité Saint-Pie X et confirme sa piètre opinion de la théologie de la libération et du mouvement des prêtres ouvriers. Mais qu’ont-ils à dire à l’inscription d’Ovide au bac, ces braves gens ?
L’abbé Régis de Caqueray, supérieur du district de France, invite « tous les Catholiques et tous les hommes à qui il reste un sens moral à protester contre ce programme totalitaire qui constitue une véritable incitation publique à l’immoralité et à la débauche ». Pour ce faire, facile : il a préparé une lettre type à faire parvenir au médiateur de l’Education Nationale. Ladite lettre commençant par « […] Je suis directeur d’un établissement privé catholique et, à ce titre, présente des élèves au baccalauréat en section littéraire » laisse présumer quel public est visé. Elle permettra au malheureux directeur d’un établissement privé catholique d’expliquer au représentant du régime totalitaire « qu’il est impossible de plonger des élèves dans une telle littérature, car travailler ces textes vous place fatalement dans une atmosphère licencieuse, et ce n’est pas, me semble-t-il, le rôle de l’éducateur.» Le péril est clair : pervertir les élèves et transformer ces jeunes messieurs en lycéens en rut bousculant le chignon gris de leur professeur de latin. La débauche donc, comme si les femmes se mettaient à porter des pantalons !
La vénérable Jacqueline de Romilly se fend d’un courrier de soutien dans lequel elle s’interroge gravement : « Faut-il que notre culture devienne un vecteur de tout ce qui mena à la déliquescence de l’empire romain » ? Diable ! Une pétition est également disponible pour ceux à qui il reste un sens moral, et l’argumentation s’y fait plus directe. On apprend ainsi qu’Ovide explique que l’anniversaire de son amie est un jour néfaste, car elle parviendra toujours à soutirer un cadeau. Diantre ! Ou qu’Ovide fait l’apologie du viol. Oui oui du viol, citation à l’appui :
« C’eût été lui faire violence, dis-tu ? Mais cette violence plaît aux belles, ce qu’elles aiment à donner, elles veulent encore qu’on le leur ravisse. Toute femme, prise de force dans l’emportement de la passion, se réjouit de ce larcin : nul présent n’est plus doux à son coeur. Mais lorsqu’elle sort intacte d’un combat où on pouvait la prendre d’assaut, en vain la joie est peinte sur son visage, la tristesse est dans son coeur. Phoebé fut violée; Ilaïre, sa soeur, le fut aussi; cependant l’une et l’autre n’en aimèrent pas moins leurs ravisseurs. »
Hé bien !!! Qui l’eut cru d’un si brave homme ? Voilà qui est en effet contraire au bon sens le plus élémentaire, « alors que nos écoles souffrent de la violence souvent sexuelle, alors que les agressions contre les femmes augmentent dangereusement, alors que l’opinion publique réclame une loi contre l’inceste, alors que s’enracine imperturbablement dans les relations sociales la loi du plus fort ». Mmmh. Mais peut-être s’agit-il d’une simple figure de style ? En cas de doute, rien de mieux que d’aller lire le paragraphe précédent et celui qui suit.
Voici le début du paragraphe : « Quel amant expérimenté ignore combien les baisers donnent de poids aux douces paroles ? Ta belle s’y refuse; prends-les malgré ses refus. Elle commencera peut-être par résister : « Méchant ! » dira-t-elle; mais, tout en résistant, elle désire succomber. Seulement, ne va pas, par de brutales caresses, blesser ses lèvres délicates, et lui donner sujet de se plaindre de ta rudesse. Après un baiser pris, si tu ne prends pas le reste, tu mérites de perdre les faveurs même qui te furent accordées. Que te manquait-il, dès lors, pour l’accomplissement, de tous tes voeux ? Quelle pitié ! Ce n’est pas la pudeur qui t’a retenu; c’est une stupide maladresse. »
Puis un peu plus bas : « Oui, si la pudeur ne permet pas à la femme de faire les avances, en revanche c’est un plaisir pour elle de céder aux attaques de son amant. Certes, il a une confiance trop présomptueuse dans sa beauté, le jeune homme qui se flatte qu’une femme fera la première demande. C’est à lui de commencer, à lui d’employer les prières; et ses tendres supplications seront bien accueillies par elle. Demandez pour obtenir : elle veut seulement qu’on la prie. Explique-lui la cause et l’origine de ton amour. Jupiter abordait en suppliant les anciennes héroïnes; et, malgré sa grandeur, aucune ne vint à lui la première, tout Jupiter qu’il était. Si cependant on ne répond à tes prières que par un orgueilleux dédain, n’insiste pas davantage, et reviens sur tes pas. Bien des femmes désirent ce qui leur échappe, et détestent ce qu’on leur offre avec instance. Sois moins pressant, et tu cesseras d’être importun. »
En somme faire douce violence aux femmes, mais sans brusquerie et seulement si elles en sont d’accord.
Il faut des ciseaux affûtés et une solide mauvaise foi pour parler là d’appel au viol, mais l’Eglise s’est toujours défendue d’employer l’honnêteté intellectuelle. Quant on dispose de la Vérité, il ne s’agit que de se faire obéir et on a raison que l’on choisisse de dire blanc ou noir. En matière de foi ou de morale, c’est même officiel : il s’agit de l’infaillibilité papale.